Apologie de la lenteur

Prendre le temps de la lenteur, c’est le secret des plus belles rencontres. Et la marche à pied s’inscrit totalement dans la catégorie désuète des modes de transport vraiment lents, à contre courant d’une forme de tourisme empressé et consumériste. Lors de notre tour du monde, nous prenons conscience que les instants les plus précieux nous sont offerts lors de nos randonnées, aux prix de la patience, de l’effort et de la persévérance. Loin des circuits touristiques organisés où chaque étape est minutée, nous laissons une belle place à la douce flânerie, à l’imprévu, à la rencontre spontanée.

L’effort d’endurance qu’imposent les longues journées de marche est aussi propice à l’introspection, l’échange profond et la prise de recul sur nos vies, nos carrières, nos relations familiales et amicales. Anne et moi, nous rendons alors compte de la chance immense que nous avons dans ces domaines et nous nous confortons dans ces choix de vie qui nous rendent si heureux.

C’est donc dans cette optique que nous quittons Kalaw de bon matin pour un mini-trek de trois jours qui nous mènera au majestueux Lac Inle. Les soixante-cinq kilomètres de sentiers sont beaux malgré la pluie et le froid inhabituels à cette saison. Sur les chemins, nous admirons une richesse de paysages offrant une singulière palette de couleurs. Le rouge des champs de piment soulignés par le pourpre des pigments des chemins de terre argileux côtoient un dégradé allant du vert profond des plantations de thé et des rizières au brun des plants de gingembre et de moutarde desséchés. Plus loins, on fait pousser des champs de fleurs blanche qui serviront bientôt d’offrande à Bouda.

C’est dans cette magnifique peinture que nous progressons, pas après pas, accompagné de notre guide d’ethenie « Pao » et de deux autres trekkers : l’une française et l’autre viet. Le soir venu, nous sommes chaleureusement accueillis chez l’habitant. Le chef de famille nous attend devant l’escalier d’une petite maison sur pilotis, faite uniquement à partir de bambou et de quelques poutres de tek. Il a le visage marqué par la dureté du travail des champs et son sourire laisse entrevoir une dentition déchaussée et rougie par la consommation régulière de noix de bétel, qu’il chique à longueur de journée.

Nous expérimentons avec excitation le mode de vie autarcique, simple et rustique de cette famille, appartenant à la petite communauté d’un village perdu dans les montagnes de l’Est birman. Le temps semble s’être figé depuis deux cents ans. Ici, il n’y a pas de wifi, pas d’électricité, pas de réseau cellulaire, pas de véhicule à moteur, pas d’eau courante, pas de douche, mais seulement quelques bougies pour s’éclairer, de l’eau de pluie pour se laver, un feu de bois pour cuisiner, une paillasse sur le sol pour faire office de lit et une cabane au fond du jardin pour le reste.

Dans les champs, on répète les gestes immuables et ancestraux d’une agriculture exclusivement manuelle. Femmes et hommes vêtus des costumes traditionnels guident les buffles qui trainent péniblement et dans une lenteur silencieuse l’attelage d’une charrue ou d’une charrette en bambou.

Exténués par la marche nous rejoignons nos couchages vers vingt heure après avoir joyeusement fêté la nouvelle année à l’heure Australienne (les quatre heures et demi d’avance de Sydney étaient une aubaine pour écourter la lutte contre le sommeil qu’impose la symbolique veille vers minuit). Après tout, nous sommes des Globetrotters : le temps et l’espace nous appartiennent !

Enfin, après trois journées de marche, nous commençons à distinguer une masse bleu qui se détache dans le creux d’une colline. Le Lac Inle se dévoile à nous avec pudeur, lentement et mystérieusement. Lorsque nous approchons des berges, nous ressentons une forme d’émerveillement face à la beauté du lieu s’offrant à nous en récompense. C’est la fin du trek et nous prenons une longue barque à moteur pour rejoindre l’autre bout du lac ou notre hôtel nous attend. L’embarcation se fraye un chemin à travers les envahissantes jacinthes d’eau qui bordent les jardins flottants sur les lesquels on cultive des tomates.

Plus loin, au milieu du lac, on distingue les silhouettes des pécheurs qui s’affairent pour mener une étrange manoeuvre dans un équilibre incertain : pagayant avec un pied ils brandissent la nasse faite de bambou et de mailles de filet pour la jeter à l’eau.

5 commentaires sur “Apologie de la lenteur

  1. Magnifiques !
    Vive les randos !
    Trop marrant les champs de piments 🙂 de loin, on se croirait presque dans les champs de coquelicots à l’ile de ré 😉
    Kiss les cocos

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